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Le Barrio Chino permet de tirer des conclusions pour l’ensemble des quartiers populaires

 

 
Por Maurice Blanc

Miquel Fernández Gonzáles, Matar al Chino. Entre la revolución urbanística y el asedio urbano en el barrio del Raval de Barcelona (Mettre à mort «le [quartier] chinois». Entre la révolution urbanistique et l’encerclement urbain dans le quartier de Raval à Barcelone), Barcelona, Virus editorial, 2014, 360 pages

Matar al Chino (mettre à mort « le [quartier] chinois ») pourrait être le titre d’un roman policier. L’enquête menée par Miquel Fernández González sur le quartier du Raval à Barcelone, longtemps appelé le Barrio Chino (sur le modèle de la China Town en Californie), s’en rapproche à certains égards.

En s’inspirant de Michel Foucault, la première partie, intitulée : «Barcelone comme exemple d’un urbanisme de contrôle», montre que le Barrio Chino, comme de nombreux quartiers populaires en Europe, est victime d’un processus de développement urbain en trois étapes : d’abord, un «quartier-couvent», dans lequel les pauvres sont encadrés par les congrégations religieuses. Ensuite un «quartier-usine», point de fixation des marginaux et des migrants partis à la recherche de la fortune et d’un emploi ; le souci des autorités est alors de «l’assainir» et de le soumettre aux normes du capitalisme industriel. Enfin, un « quartier gentrifié », au profit des «bourgeoisbohêmes» et des industries touristiques et culturelles.

Mais ce processus prend ici une configuration spécifique, pour des raisons historiques, politiques et culturelles. Disciple du Baron Hausmann et théoricien de l’urbanisme moderne, Ildefons Cerdà a tenté au XIXe siècle de rénover ce quartier avec le soutien des libéraux progressistes et des conservateurs modérés. Mais il s’est heurté à des résistances inattendues et le Barrio Chino est devenu un haut-lieu de l’anarcho-syndicalisme. Dans les années 1930, la municipalité républicaine de Barcelone a voulu créer une « République de l’ordre » et elle a poursuivi et renforcé la politique urbaine de Cerdà en confiant l’aménagement du quartier à Le Corbusier. Pendant la guerre d’Espagne, si les bombardements du quartier par les troupes de Franco (et par l’aviation italienne) ont facilité ensuite la rénovation-démolition, les audaces urbanistiques du plan d’ensemble de Le Corbusier ont été abandonnées par le franquisme, au profit d’un urbanisme traditionnel et favorable aux propriétaires. Après la mort de Franco, la transition démocratique n’a entrainé aucune inflexion de la politique urbaine, notamment à Barcelone où les responsables de l’urbanisme ont été confirmés dans leurs fonctions.
Les changements sont venus de la volonté politique de la Ville et de la Communauté autonome de Catalogne de hisser Barcelone au rang des métropoles européennes qui comptent : l’Exposition universelle de 1982 et surtout les Jeux olympiques de 1992. Barcelone joue la carte de la créativité et de la culture. C’est la fin du Barrio Chino, transformé en « District culturel ». La gentrification est beaucoup plus agressive qu’ailleurs et la patrimonialisation de la culture populaire et rebelle du quartier particulièrement sélective : elle souligne que le Barrio Chino était le quartier d’adoption de Jean Genêt et elle fait un clin d’œil à l’autogestion, mais seulement dans les centres de loisirs ! Les habitants perdent sur tous les tableaux : les loyers augmentent, les emplois s’éloignent et ils sont sommés de déguerpir, ou de se conformer à un mode de vie qui n’est pas le leur.
La seconde partie, intitulée : « Ethnographie critique de la rue d’el Robador », s’appuie beaucoup sur le journal de bord de l’auteur, dans lequel il a consigné ses observations, impressions et intuitions pendant son enquête de terrain (entre 2010 et 2012), focalisée sur une rue au nom emblématique : « la rue du Voleur » ! Cette méthode a l’avantage de souligner que le chercheur n’est pas un appareil photographique qui enregistrerait passivement ce qu’il voit, mais qu’il joue un rôle actif dans la sélection des faits et leur interprétation. L’auteur montre notamment le rôle de la littérature, du cinéma et des médias dans la construction du mythe d’un quartier dangereux et maudit. Mais cette méthode présente aussi des risques : il est d’abord difficile de saisir le propos de l’auteur sans une connaissance approfondie du quartier ; il présente des choses très intéressantes sur les relations de voisinage, la vie quotidienne et le contrôle policier permanent, mais il manque un fil directeur. Cette partie est plutôt une monographie qui a l’ambition de traiter du quartier dans toutes ses dimensions, parfois de façon superficielle. Au sens strict, l’ethnographie de cette rue a été présentée à la fin de la 1e partie, notamment avec la carte des nouvelles installations, dans la rue du Voleur et dans le quartier : on y trouve le siège de l’Institut d’études catalanes, le « King Roster Pollo Falafel Hamburger », le siège de l’Union générale des travailleurs, l’hôtel cinq étoiles Barceló Raval, etc. Sur la forme, il y a des digressions, des répétitions et des retours en arrière qui ne facilitent pas la lecture. Mais ces défauts sont largement compensés par une riche iconographie, judicieusement utilisée.
 
La conclusion est ironiquement intitulée : «Sauver le Raval pour (re)mettre à mort le Chinois?». Elle met en garde contre la tentation des pouvoirs publics, de droite comme de gauche, de transformer la lutte contre la pauvreté en une «lutte contre les pauvres». Miquel Fernández souligne d’abord que la « légalité violente » est la loi du plus fort, qu’elle n’a par conséquent pas de légitimité et qu’elle représente une menace pour le quartier et ses habitants. Le «nouveau colonialisme urbain» est proche de celui des années 1960 : il vise la «reconquête» des quartiers centraux par les classes dominantes et l’expulsion des classes populaires à la périphérie (voir les travaux à l’époque d’Henri Coing et ceux de Manuel Castells sur la rénovation urbaine à Paris). Mais la stratégie a évolué : elle ne se limite plus à la démolition-reconstruction, elle inclut la revalorisation de l’habitat existant (la gentrification). Le plus grave danger selon l’auteur vient de la perversion du sens des concepts d’espace public et de civisme : ils ne renvoient plus à la confrontation et au débat, mais à l’intégration dans un espace homogène et sans conflit, répondant aux normes de la bourgeoisie.
 
Malgré les petits défauts signalés ci-dessus, cet ouvrage a un très grand mérite : sans faire référence à la théorie critique de l’École de Francfort (Théodor W. Adorno et Max Horkheimer), il se situe implicitement dans cette tradition qui considère que l’étude approfondie d’un cas particulier et de ses spécificités est une voie d’accès à l’universel. Le Barrio Chino permet de tirer des conclusions pour l’ensemble des quartiers populaires menacés par les politiques urbaines qui considèrent ces quartiers et leurs habitants comme un «problème» et non comme une «ressource».
 

Reseña publicada en Espaces et sociétés en mayo de 2016

 

 

 

31/05/2016 13:37:07
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